jeudi 24 mai 2012

30 - L'abbaye du Thoronet


Le sensible est l'état ultime des choses.
Isaac de l'Étoile (vers 1105/1120 - vers 1178)
En déplacement professionnel au nord de Nice, je n'ai pas pu m'empêcher de faire une halte au Thoronet, une abbaye cistercienne, c'est à dire marquée par son fonctionnalisme, la qualité de sa construction, son dépouillement, le jeu de sa plastique sous la lumière, son aptitude à accueillir le chant polyphonique.
Les cisterciens étaient à peu de chose près à l'inverse de notre époque : ils mettaient leurs meilleures pierres dans les fondations de leurs constructions. Ils bâtissaient pour un millénaire… ou deux. Ici la pierre est ingrate, très dure et cassante, elle éclate sous le ciseau, rendant difficile sa taille. Pourtant le Maître d'œuvre a choisi une taille fine sur les faces cachées, celles qui assurent la pérennité du bâti, une taille grossière sur le parement. Le résultat est magnifique.
«(…) Revenons à la pierre : crois-moi ! Je n'en ai jamais employé de semblable, je ne pensais pas avant d'arriver ici que je devrais un jour construire avec ces matériaux. Cependant j'ai su, peu après mon arrivée, que ces pierres seraient traitées grossièrement et posées finement. Comment t'expliquer que la beauté des murs va dépendre de cette sensation, si je ne fais pas appel à ce composé inconscient et complexe ? Tu me veux sage, expérimenté ; tu te refuses à admettre tout ce qui ne te paraît pas venir de l'essence de ces qualités. Tu sais depuis longtemps que je souhaite faire poser ces pierres à joints secs. Les explications que je t'ai données ne te satisfont pas. D'où faut-il que je tienne cette volonté qui s'opposera un certain temps à la tienne si je ne fais pas appel à mes sentiments ? Ainsi toutes les fois où je suis en accord avec vous, tu n'admets pas d'autres origines que la science ou l'expérience ! Serait-ce que tu préfères te référer à l'étude ? Que tu craignes de manquer d'instinct ? D'être privé du monde imaginaire ?
- Tu es injuste envers moi et envers nous ! Ne pas encore comprendre pourquoi tu veux ces pierres ainsi, n'est pas en contradiction avec ce que je disais. Ces pierres que tu défends, pour moi, pour Paul, pour tous, ne sont, tu le sais bien, que des matériaux de fortune.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'y en a pas d'autres ! Nous sommes obligés de nous en contenter. Avoue ! Ce n'est pas de la pierre ? »
J'ouvris de grands yeux, je ne me doutais pas que tous, et Bernard en tête, taillaient quinze heures par jour sans croire que cette matière était de la pierre, sans espérer que la beauté qu'elle inspirerait provoquerait l'admiration.
(…)
- Notre art n'a pas de matériau plus ou moins noble, il emploie des matières divines et créé des formes assujetties aux complexes de celles-ci. »
(…)
Bernard m'a écouté avec attention. Bernard est sous l'influence de Paul, tailleur de pierre tendre, belle, sans histoire ; de Benoît, jeune chef de chantier qui assimile règle de l'art et matériau, les confond dans le conformisme d'un idéal sans imagination.
(…)
- Bernard, rallume le feu et fais-nous de la tisane. Je crois que je perds mon temps à essayer de te convaincre. Je vais être obligé de briser ta volonté et celle de Benoît et de Paul, de m'opposer par la force à votre scepticisme. Plus tard, quand je serai parti, vous m'en aimerez davantage. Je défends plus qu'un matériau, je défends ma foi dans la matière. Il n'est pas de beauté sans foi. (…) L'exclusive systématique d'un architecte est signe de faiblesse. La mode est une des formes de la décadence et de la médiocrité.» (1)

L'ensemble de l'abbaye est marqué du 3 et du 6.
Le 3 est bien évidemment celui de la trinité corps (la matière), âme (l'énergie), Esprit (l'information). L'énergie fait ainsi lien entre la matière et la connaissance, le 3 est ainsi le nombre du lien entre l'individu et la connaissance.
Le 6 me semble ici a mettre directement en relation avec l'eau : le système cristallin de l'eau est en effet hexagonal, comme on peut le remarquer en observant de l'eau cristallisée, autrement dit des flocons de neige… L'eau, comme dans tous les lieux de culte, partout dans le monde, il y en a ici, beaucoup. Elle passe sous le chœur, sous la fontaine du lavatorium, sous la salle du chapitre… Salle du chapitre dans laquelle se trouvent 6 voûtes, dans laquelle on peut remarquer le dessin d'une fleur à 6 pétales sur les clés des arcs des voûtes, mais aussi cette curieuse main à 6 doigts (5 apparents + 1 pouce opposé pour tenir la crosse), la crosse avec sa forme spiralée qui code les tourbillons de l'eau en mouvement : le message est clair. Le lavatorium est quant à lui construit sur une base hexagonale, plutôt rare, et renforcé par 6 arêtes de voûtes.
Deux choses sont nécessaires à la Vie : la lumière, l'architecture cistercienne est une architecture de lumière, en témoigne ce "soleil" présent au-dessus du chœur, Soleil qui n'est pas divin lui-même mais qui en est la manifestation du divin ; l'eau : on ne connait pas de forme de Vie sans eau, à tel point que les astrophysiciens, lorsqu'ils cherchent d'autres formes de Vie dans l'Univers, cherchent avant tout l'eau… Une eau qui véhicule l'information, comme en attestent les travaux de Marcel Violet, du Professeur Jacques Benvéniste, ceux du Prix Nobel le Professeur Luc Montagnier, Philippe Vallée, le Dr Masaru EMOTO… Et bien d'autres.
--
1 - Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Éditions du Seuil, 1964

Fernand Pouillon était un courageux architecte de la période de reconstruction d'après guerre, il n'a pas hésité à se heurter aux lobbys industriels du bâtiment de cette époque pendant laquelle on a construit beaucoup, plutôt mal et très cher, a été injustement inquiété pour cela : il a connu la prison. Auteur de plusieurs livres, écrit à la première personne "Les pierres sauvages" est le journal du moine cistercien, maître d'œuvre du Thoronet, aux prises avec les faiblesses et paradoxes des hommes, lui y compris, la confortable inertie des habitudes, l'adversité des éléments… Je dois avouer de nombreuses lacunes professionnelles, je ne connais pas le Taj Mahal, ni Rome, ni Londres, ni New-York City, pas plus que Grenade, Séville ou le Machu Picchu… mais j'ai lu "Les pierres sauvages".

5 commentaires:

Anonyme a dit…

salut bruno
Une architecture merveilleuse! avant de te lire dans les commentaires, j'ai regardé les photos, mon esprit y a trouvé sa propre respiration, instantanément. Pourtant ce ne sont que des photos
a bientôt Eddie

Bruno Lapostat a dit…

Comment ça "que" des photos ?

;-)

Bruno

alain marty a dit…

Bonjour Bruno
Ce Fernand Pouillon en aura fait rêver avec "Les Pierres Sauvages" (1964).
Je note cette dernière phrase de ton extrait :
« La mode est une des formes de la décadence et de la médiocrité. »
que je relie à cette citation d'Einstein :
« Notre époque se caractérise par la profusion des moyens et la confusion des intentions. »
Les grands esprits se rencontrent.
Merci pour ce compte-rendu photographique et poétique (et magique).
PS.: Mais quel est donc ce démon fantôme qui apparaît furtivement dans l'angle bas-droit de la dernière photo ?
Amitiés :)
Alain

Unknown a dit…

Bruno, rallume le feu, fais nous une tisane... ou "Serait-ce que tu préfères te référer à l'étude ? Que tu craignes de manquer d'instinct ? D'être privé du monde imaginaire ?"
Parle nous encore des pierres sauvages... nous te parlerons des hommes de Paris, New-York et Tombouctou...!

Brigitte a dit…

Que du plaisir, à te lire, à voir ces photos magnifiques (et bien prises !), y compris celle du fantôme sur la dernière...

C'est vrai qu'il y a longtemps qu'on ne t'avait pas lu. J'y ai pris beaucoup de plaisir, aimant beaucoup les abbayes

cisterciennes.. Elles ont quelque chose (...). J'aime voir tes yeux posés sur le symbolisme. Sincèrement la main

à 6 doigts... j'étais passée à côté. N'hésite pas à continuer à écrire et à visiter.

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